lundi 14 juillet 2003; Évènement 2849 [#2022]

Tyler se trouve dans une cellule aux barreaux rouillés, tout au bout d’un couloir taillé dans la pierre, vaguement éclairé par des ampoules couvertes de toiles d’araignée. Ils avancent dans le couloir, parviennent à un escalier circulaire qui plonge dans les entrailles de la Terre ; il s’en échappe une chaleur torride, une odeur de soufre. Tyler croit entendre des cris, des gémissements. Le bruit des machines est plus fort, aussi…

Ils descendent, traversent d’immenses galeries aux balcons ventrus. Parfois, l’air sent le chou avarié, parfois la bougie brûlée, parfois la moisissure. Au bout de cent cinquante marches, Tyler cesse de compter.

Ils arrivent en bas, finalement. Une salle circulaire dont le plafond de verre sale laisse voir un ciel gris. Jaillissant de pots cassés, des plantes lancent leurs lianes voraces sur le sol de brique orangée. Devant eux, deux portes à double battant s’ouvrent sur un patio entouré d’arbres accablés, palmiers poussiéreux ou banians filandreux… Tyler ne connaît pas toutes les espèces, mais il est au moins sûr d’une chose : ce n’est plus le Wisconsin.

Burnside l’obligeà porter une casquette marron clair avec une longue visière qu’il prend dans son sac. La casquette est en fer-blanc, on dirait. Animée d’une désagréable vibration, comme si un faible courant électrique y passait. Tyler pose le couvre-chef sur sa tête. Il est aussitôt envahi par un bourdonnement qui le désoriente et lui laisse une étrange faiblesse dans les muscles.

Ils sont dans le patio, à présent. Une lourde odeur végétale pèse sur les lieux, et ce ciel gris, si bas… Et ce vacarme de machinerie s’est rapproché. Burnside force Tyler à conduire un kart de golf. Le vieux lui montre du doigt un reste de graviers perdu dans les buissons. Une ancienne allée, sans doute. Tyler voit les arbres vivants que Jack avait déjà rencontré en fuyant Morgan d’Orris, ou en arrivant à l’Hôtel Noir.

Brusquement, ils sont à découvert, sur une plaine morne et désolée qui, droit devant eux, se mue en collines pierreuses dressées vers le ciel de plomb. Une créature voûtée, hirsute, se faufile entre deux rochers avant que Tyler ait pu la distinguer nettement. Il préfère ne pas savoir ce que c’est, d’ailleurs. Le bruit des machines ébranle le sol ; il sent le volant vibrer dans ses mains. La piste est devenue une large route en terre battue bordée à perte de vue par un mur de pierres blanches et rondes.

— Ce que t’entends, c’est l’usine du Roi Écarlate, annonce Burny. Le Grand Alliage !

— À gauche. Cinq kilomètres. T’as pas le choix.

Tyler croit un moment que des lambeaux de brouillard traînent sur le sol. Mais non ; ce sont des rubans de fumée.

— Le Shéol, souffle Burny comme s’il avait lu dans ses pensées. Et y a qu’un accès : celui-ci. La Route du Congre. Essaie ailleurs et tu te ferais écorcher vivant par des… machins.

Tyler se tait, surveillant la Route du Congre. Il risque un seul coup d’œil en arrière ; la maison noire et son maigre bouquet de végétation tropicale ont disparu derrière les collines.

— T’as regardé ce mur ? T’as vu ce mur, mais j’crois que tu l’as pas bien regardé, Tyler…

Le garçon tourne les yeux du côté où le vieux est avachi sur son siège. Il ne comprend pas, d’abord, et puis il comprend trop bien. Ces pierres rondes et blanches, ce sont des crânes empilés le long de la Route du Congre… Oh, comme il voudrait voir sa mère. Rentrer à la maison. Maintenant.