Après-midi du 13 juillet 2003; Évènement 2803 [#1968]

Là-bas, le monstre a les mâchoires sur la jambe de Souris, où il s’apprête à arracher un morceau de chair gros comme un hamburger. La balle, non, le missile tiré par le Magnum l’atteint de plein fouet. Pas très discret, ce flingue, mais parfait dans le contexte. Sauf que… sauf qu’au lieu de la pulvériser le projectile ne fait que bousculer la créature, qui se détourne de sa proie après que Souris a poussé un hurlement de douleur. La bête se retourne d’un bond et fixe d’énormes yeux rouges sur Sonny, la mâchoire pendante et maculée de bave. C’est impensable, mais ses grognements redoublent d’intensité. Ramassée sur elle-même, la bête avance vers lui ! Sonny ne peut l’ignorer : il est le prochain sur le menu s’il ne s’enfuit pas. Mais, au lieu de faire demi-tour, il hurle : « Attrape ça ! » et décharge son arme dans la bouche béante.

La balle aurait dû arracher la tête du monstre. Pourtant, pendant quelques secondes, rien ne se produit. Puis sa silhouette se dessine plus nettement, comme émergeant des ténèbres. Ses formes sont enfin définissables, comme si un voile noir se levait lentement : un cou épais fiché sur des épaules massives, des pattes de devant fortement musclées… Est-ce que le vent tourne ? Est-ce que le monstre devient simple chien ? Sonny vise le torse, agrippé des deux mains au revolver. La détonation lui bouche les oreilles, résonne dans ses tempes douloureuses. Un sang noir perle sur le jabot de la créature et Sonny Cantinaro est envahi par une joie primitive, vitale. L’image de la bête se précise encore, l’échine, les flancs, sans pour autant suggérer aucune espèce connue, sinon que sa taille est celle d’un loup surdéveloppé. Elle avance encore et Sonny tire encore. Cette fois, il éveille un écho derrière lui ; une autre balle passe en sifflant près de lui.

La bête recule en chancelant, ses yeux furibonds fixés sur ceux de Sonny, qui se risque tout de même à regarder rapidement par-dessus son épaule. Le Pif est debout, au milieu du chemin, bras tendu.

— Qu’est-ce que tu fais ? Flingue-le.

La voix de Saint Pierre le sort de son étrange torpeur. Maintenant, ils sont trois à faire feu, on se croirait au stand de tir un jour de cohue. Lâchant un long jappement de rage, le chien – « Cerbère, le chien de l’enfer », pense Sonny – ramasse ses pattes de derrière sous son corps, franchit la sente d’un bond et disparaît sous les arbres.