Après-midi du 13 juillet 2003; Évènement 2800 [#2060]

Saint Pierre, lui aussi, a senti l’air s’épaissir contre son visage et son corps, mais il met ce phénomène au compte des stratagèmes empoisonnés du Pêcheur ; il veut croire que ses compagnons ne seront pas leurrés par cette illusion. Luttant pour garder la tête droite, il jette un coup d’œil au large dos de Souris, puis à Doc, qui paraît bien en selle. Le chemin s’incurve une quinzaine de mètres devant eux. Ils avancent de plus en plus vite.

Quelque part sur la gauche, un chien grogne. Son pistolet sorti de la poche, Saint Pierre entend le grondement les suivre le long des taillis. La douleur dans sa tête s’accroît ; elle semble vouloir éjecter ses yeux de leurs orbites. Le chien – car c’en est un, évidemment… – se rapproche encore. Le vacarme est tel que Le Pif croit voir une gueule géante, des yeux rouges de fureur, des crocs ourlés d’une bave écumante.

Il voit Souris se débattre sur sa moto au point de la déséquilibrer, puis se coucher à l’entrée du tournant, et, soudain, ses yeux explosent de souffrance, sa vision passe au noir absolu. Une voix abominable s’élève dans son cerveau : « Amy s’est assise sur mes genoux et m’a embrassé, et je me suis décidé à la manger, et je… »

— Non ! hurle-t-il.

La voix qui cherche à éjecter ses yeux de son crâne se mue en gloussements saccadés. Une apparition fugace passe devant lui, une haute silhouette munie d’un œil unique et de dents pointues, sous un chapeau ou une capuche, ou… Le monde bascule. La seconde suivante, il est plaqué dos au sol, la Harley pesant sur sa poitrine, et tout est rouge autour de lui. Un cri s’élève. Il distingue Souris couché sur le chemin écarlate et un énorme chien cramoisi lui fonçant dessus. Son pistolet a été éjecté de sa main.