hôpital des petites sœurs - Little Sisters hospital

Les petites sœurs ont installé leur tente hôpital juste à proximité d'un cercle de pierres,  des quartiers de roches qui ressemblent à de vieilles molaires. Il se dégage de l'endroit une impression malsaine, mais Parkus rassure Jack et Sophie:   Le Démon Qui Parle a quitté ce cercle depuis des lustres, ma belle. Et vous le savez mieux que personne. Vous êtes la meilleure, question légendes.

Ils se trouvent sous une sorte de tente immense, fractionnée en maints espaces. Elle lui rappelle vaguement le Pavillon où la Reine des Territoires, la gémelline de sa mère, attendait la mort. Mais alors que les toiles du Pavillon étaient richement colorées, chargées d’encens et d’un parfum de deuil, tant le décès de la Reine semblait aussi inévitable que proche, celles-ci sont uniformément blanches et déchirées, usées au point que Jack peut apercevoir à travers le flanc d’une colline qui s’incurve vers sa vallée, parsemé d’arbres. Quand la brise s’élève, des pans de tissu flottent devant les interstices. Il distingue une ombre marron, très haut au-dessus de lui. Une sorte de croix.

...

— Qu’est-ce que c’est, ici ?

Elle sourit.

— Un hôpital, pour certains.

— Ah oui ?

Son regard s’élève, remarquant à nouveau l’ombre brunâtre au-dessus d’eux. Qui a été rouge, c’est sûr. « Évidemment, idiot ! Une croix rouge ! »

— Mais ce n’est pas un peu… vieux, pour cet usage ?

Son sourire s’élargit, ironique certainement. Non, ce n’est pas le genre d’hôpital que l’on voit dans les feuilletons télévisés, Urgences ou autres… Idiot encore.

— Oui, Jack, c’est très vieux. À un moment, il y a eu plus d’une douzaine de ces tentes à travers les Territoires, mais maintenant il n’en reste que très peu… Allez savoir, celle-ci pourrait être la seule. Aujourd’hui, ici et demain, demain… N’importe où ! Peut-être même du côté de Judy.

— Comme les médecins volants, quoi…

Il cherchait à plaisanter et cependant il est stupéfait de la voir éclater de rire et battre des mains.

— Oui, oui ! Exactement ! Mais vous n’aimeriez pas y être soigné, je ne pense pas !

Que veut-elle dire par là ?

— Je suppose, oui, risque-t-il en considérant les toiles en loques, les poteaux vétustes. Ça n’a pas l’air très… entretenu.

D’un ton sérieux, mais toujours un rire dans les yeux, Sophie reprend :

— Et cependant, si vous y étiez admis, vous le trouveriez le plus beau du monde. Et vous penseriez que nos infirmières, les petites sœurs, sont ce qu’il peut arriver de mieux à un pauvre malade.

— Oui ? Où sont-elles ?

— Elles ne sortent qu’à la nuit tombée, Jack. Et si nous voulons continuer à vivre, nous aurons repris chacun notre chemin bien avant le crépuscule.

L’entendre évoquer cette perspective le chagrine, même s’il sait qu’elle est inévitable. Mais sa curiosité n’est pas émoussée par la tristesse ; quand on est fliquicier, on le reste, décidément…

— Pourquoi ?

— Parce que les petites sœurs sont des vampires, Jack, et que leurs malades ne guérissent jamais.

Mal à l’aise, il jette un coup d’œil à la ronde. Il ne lui vient pas à l’esprit de mettre en doute cette assertion. D’un monde qui engendre des loups-garous, il faut s’attendre à n’importe quoi, sans doute… Mais elle lui prend le poignet et un rapide frisson de désir le traverse.

— Ne prenez pas peur, Jack. Elles sont aussi au service du Rayon. Toute chose l’est.

...

Il se laisse entraîner à travers les salles de l’hôpital décrépit, dont il découvre la taille, gigantesque. Il remarque également la présence, au-delà des courants d’air, d’un remugle déplaisant, faible odeur de vin aigre et de viande gâtée. Et, malheureusement, il n’a guère de doutes sur le genre de viande dont il s’agit ; il s’est trop souvent trouvé sur le théâtre d’homicides pour ne pas le reconnaître.